vendredi 24 février 2012

Jean Léon Gérôme, Le Siècle d’Auguste et la naissance du Christ, 1855, Musée d’Amiens. L’échec de la « grande peinture d’histoire »

Jean Léon Gérôme, Le Siècle d’Auguste et la naissance du Christ, 1855, Amiens, Musée des Beaux-Arts.

  Jean Léon Gérôme, né le 11 mai 1824 à Vesoul, arrive à Paris à 16 ans et intègre l’atelier de Paul Delaroche. En 1843, il accompagne, avec plusieurs de ses condisciples, son maitre en Italie, où il exécute principalement des études architecture, de paysages, et de figures. Il rentre à paris en 1845 et commence à se faire connaitre au salon de 1847 avec son « combats de coqs ». Il y obtient une médaille de 3ème classe, ainsi que les éloges de Théophile Gautier, et se voit consacré chef de file, à 23 ans, des néo-grecs. Son « intérieur Grec, le Gynécée », présentée au salon de 1850 est acquise par Louis-Napoléon, encore président de la République. C’est donc à un artiste encore jeune, moins de trente ans, mais déjà confirmé que l’Etat, commande, en 1852, une toile monumentale pour l’exposition universelle de 1855. Il s’agit-là d’une démarche de propagande, avec une volonté de donner une meilleure image du Second Empire, qui, suite au coup d’état de Napoléon III, remplace la République. Le gouvernement du nouvel empereur alloue un budget assez colossal de 300 000 Francs au ministère de l’éducation publique. Gérôme en recevra 20 000. Le sujet est libre, et l’artiste choisira de représenter, en peinture, un passage du « Discours sur l’Histoire universelle », de Jacques-Bénigne Bossuet, datant de 1681. Le passage choisit évoque l’instauration de la Pax Romana par Auguste, et la naissance du Christ, et s’intitule : Le siècle d’Auguste et la naissance du Christ. Le tableau sera transféré au Musée d’Amiens dès 1864, il y est d’ailleurs toujours, après un bref passage au Musée d’Orsay, à Paris.
Le tableau reçoit un accueil critique mitigé. Au regard de ses ambitions, c’est un échec. Après avoir étudié l’oeuvre en elle-même, nous tenterons de discerner les raisons de cet échec, par rapport au contexte artistique du moment, mais également les répercussions qu’il aura sur la suite de la carrière de Gérôme, et comment, dans sa production artistique, la petite histoire supplantera la grande.
• L’oeuvre en question
La première moitié du XIXème voit l’apparition d’une nouvelle réflexion sur l’histoire, plus matérialiste. Il s’agit de l’envisager sous une perspective synthétique. C’est une tendance que l’on retrouve dans les encyclopédies, dans les ouvrages de synthèses de l’histoire de l’art, mais dont la volonté de « tout raconter » implique certains problèmes méthodologiques. Cette nouvelle vision de l’Histoire se retrouve dans la littérature et la peinture. On voit à l’époque de grands projets de peintures d’histoires, avec par exemple « l’Histoire du Christianisme » (1836-1838) de Jules-Claude Ziegler (1804-1856), qui met en scène la fondation et le développement de l’église catholique dans un même tableau, destiné à la coupole de l’Eglise de la Madeleine à Paris. Il s’agit ici d’une oeuvre de glorification du Christianisme, au discours fonctionnel reprenant le thème de la mission sacré.
Paul Delaroche, pour l’hémicycle des Beaux-Arts, peint une fresque monumentale de 27 mètres de long mettant en scène les plus grands penseurs et artistes de l’antiquité, rassemblés autour d’un socle sur lequel trône les trois artistes ayant travaillés à l’édification du Parthénon : l’architecte Phidias, le peintre Apelle et le sculpteur Ictinus.

Paul Delaroche, Hémicycle des Beaux-Arts (détail), 1837-1841, Paris, École Nationale Supérieure des Beaux-Arts



L’apparition de la notion de « Grands Hommes », moteurs de l’histoire, développée par Hegel, contribuât également à l’apparition d’un nouveau genre de peinture d’histoire. Paul Chenavard s’inspire directement de la philosophie de l’Histoire d’Hegel dans son oeuvre de commande pour le décor intérieur du Panthéon, que l’on voulait alors transformé en temple de l’Humanité. Sa Palingénésie sociale, dans sa conception cyclique, cherche à représenter les principales étapes de la « marche du genre Humain dans son avenir à travers les épreuves et les alternatives de ruines et de renaissance.
Dans la littérature, cette tendance se retrouve appliquée par Victor Hugo dans la Légende des Siècles. Ce recueil de poèmes est conçu comme un immense tableau visant à exprimer l’Humanité, son éclosion et son épanouissement dans une sorte d’oeuvre cyclique. L’histoire est mise en perspective du passé, abordée avec distanciation, par une vision synthétique de l’histoire au travers de figures symboliques ou incarnant leur siècle. Comme V. Hugo le note dans la préface de la première série, « c’est de l’histoire écoutée aux portes de la légende ».
Jean Léon Gérôme est un passionné d’histoire. Lorsqu’on lui passe la commande d’une grande toile historique, il y voit l’opportunité de laisser cours à sa passion, et de se mesurer aux grands maîtres du genre qui l’ont précédé. L’élaboration de la toile se fera en trois ans. Une lettre, datant de février 1853, destinée au comte Nieuwerkerke, directeur des Musées depuis 1849, et qui deviendra Surintendant des Beaux-Arts à partir de 1863, Gérôme indique avoir « effectué une partie des dessins préparatoires ». Il lui demande également une avance de 5000 Francs, qui lui seront versés le 15 février. Cet argent servira à financer un voyage en Europe Orientale, durant lequel il effectuera des recherches d’ordre ethnographique. LUDIQUE
Le 8 mai 1854, un rapport d’inspection indique que le carton est terminé, et que Gérôme en est au stade de l’étude finale. Au cours de ses 3 ans de travail, il recevra plusieurs acomptes, et le solde sera payé en juillet 1855, soit environ deux mois après l’exposition de la toile.
Gérôme a réalisé un grand nombre de dessins préparatoires pour son tableau. On peut en voir certains au Musée Rolin à Autun ou au Musée de Cambridge en Grande-Bretagne (pour Auguste, ainsi que d'autres groupes). Le catalogue de Vesoul de 1981 permet également de voir les esquisses de Marie et de l’enfant Jésus.
-L’oeuvre, description et analyse
Jean-Auguste-Dominique Ingres, Apothéose d’Homère, 1827,
Paris, Musée du Louvre
L’influence majeure de Gérôme dans la conception du tableau est « l’apothéose d’Homère », d’Ingres, peint en 1827. Le livret dans le catalogue de l’époque le décrit comme « Homère recevant l’hommage de tous les Arts, dont il est l’inventeur et le père ». Ingres y définit les règles d’un genre nouveau : le Panthéon. Il s’agit de la réunion artificielle et statique de personnages historiques, choisis comme emblématiques. La mise en scène des différents personnages s’apparente à une « photographie de groupe », ou chaque participant est pourvu de sa propre personnalité sans pour autant participer à une action de groupe. Ingres organise ses figures en petits groupes, dans un espace compact et peu aéré, en superposant les personnages en une masse invraisemblable, anachronique. L’accumulation de grandes figures de l’histoire artistique dans une procession sans réelle action, seulement animée par la variété des gestes et des postures des personnages, définie un nouveau genre d’allégorie. La toile, qui inspirera Paul Delaroche pour l’hémicycle des beaux-arts, et plus tard son élève Gérôme, s’inscrit dans la plus pure tradition classique, d’autant plus quand on la met en rapport avec « La mort de Sardanapale » de Delacroix, exposé au même salon. Ce type de composition sera progressivement rejeté dans une sorte d’archaïsme.
Jean Léon Gérôme choisit un sujet antiquisant, une illustration d'un passage du "Discours sur l’Histoire universelle », de Jacques-Bénigne Bossuet, que voici :
"Les restes de la république périssent avec Brutus et Cassius. Antoine et César, après avoir ruiné Lépide, se tournent l’un contre l’autre. Toute la puissance romaine se met sur la mer. César gagne la bataille actiaque : les forces de l’Égypte et de l’Orient qu’Antoine menait avec lui sont dissipées : tous ses amis l’abandonnent, et même sa Cléopâtre pour laquelle il s’était perdu. Hérode Iduméen qui lui devait tout, est contraint de se donner au vainqueur, et se maintient par ce moyen dans la possession du royaume de Judée, que la faiblesse du vieux Hyrcan avait fait perdre entièrement aux asmonéens. Tout cède à la fortune de César : Alexandrie lui ouvre ses portes : l’Égypte devient une province romaine : Cléopâtre qui désespère de la pouvoir conserver, se tue elle-même après Antoine : Rome tend les bras à César, qui demeure sous le nom d’Auguste et sous le titre d’empereur seul maître de tout l’empire. Il dompte vers les Pyrénées, les Cantabres et les Asturiens révoltés : l’Éthiopie lui demande la paix : les Parthes épouvantés lui renvoient les étendards pris sur Crassus avec tous les prisonniers Romains : les Indes recherchent son alliance : ses armes se font sentir aux Rhetes ou Grisons, que leurs montagnes ne peuvent défendre : la Pannonie le reconnaît : la Germanie le redoute, et le Veser reçoit ses lois. Victorieux par mer et par terre, il ferme le temple de Janus. Tout l’univers vit en paix sous sa puissance, et Jésus-Christ vient au monde."
Le sujet est parfaitement adapté aux visées impérialistes de Napoléon III, au contexte de fin de la république, remplacé par le second Empire, et, plus précisément, à l'exposition universelle organisée par l'empereur, ou la France accueille le monde entier. Dans son discours d'ouverture, Napoléon III dira : "j'ouvre avec bonheur ce temple de la Paix qui convie tous les peuple à la concorde".
La composition du tableau s'organise symétriquement autour d'un axe vertical articulé autour de la figure d'Auguste. Dans la partie haute du tableau, la façade du temple de Janus, divinité romaine du commencement et du passage, se détache sur un ciel sans nuage, exactement comme dans le tableau Ingres dont Gérôme s'inspire. Devant le temple, Auguste divinisé, dont la pose et le sceptre rappellent le Jupiter Capitolin qui avait déjà inspiré Ingres pour ses portraits de Napoléon, trône sur une estrade en marbre au côté d'une petite statue du même Jupiter. L'inscription sur le socle exalte la gloire d'Auguste, en énumérant les provinces conquises et pacifiées : "César Auguste, imperator victor canabrorum, astum, Pathorum, Raethonum et Indunum, germaniae, pannoniae, domitor pacificator orbis, pater patriae." On voit citer des peuples et des provinces évoqué par Bossuet.
Aux pieds d'Auguste sont placés, à droite, l'aigle impérial, et à gauche, debout et adossé à l'estrade, une femme personnifiant Rome, vêtue d'une chlamyde rouge, portant lance et bouclier.
A droite, en haut des marches, César, en bleu, est représenté mort, tandis que ses deux chefs de la conjuration, Brutus et Cassius, vêtus de toges blanches relevées sur leurs têtes, s'éloignent en descendant les marches. Ce sont les seuls personnages de la composition, à l'exception de la sainte famille en bas, à ne pas participer à la dynamique dirigée vers Auguste. Cassius, l'air sombre, porte la main à son front et semble regarder vers l'avenir, la défaite des partisans de la république et l'avènement de l'empire. Tandis que les deux conjurés s'éloignent de Rome, le monde entier se masse dans la partie inférieure du tableau, se rassemble pour payer le tribut au nouvel empereur, et se soumettre au nouvel ordre qu'il instaure : la Pax Romana. Gérôme représente une foule éclectique d'individus et d'animaux exotiques de toute "race", tout type, toute coutume. Dans la partie droite du tableau, il peint différents groupes, des indiens montés sur un éléphant, les Parthes rapportant à Auguste les enseignes romaines perdues par Crassus à la bataille de Carrhes et les soldats qui avaient été fait prisonniers (une des grandes victoires diplomatiques d'Auguste), tandis qu'un barbare Nordique couvert de peaux de bêtes est placé au côté d'une mère amenant ses enfants voir l'empereur.
A gauche, deux hommes amènent des captifs vers l'empereur, en les tirant par les cheveux. Il s'agit peut-être de personnifications de pays conquis. Un roi oriental, richement vêtu, est soutenu par deux esclaves, un jeune garçon noir tenant un bouclier et une femme presque nue. Il est tourné vers Auguste, et sa faiblesse symbolise peut être la supériorité écrasante de Rome sur les autres royaumes. Plus haut, juchés sur des dromadaires, de jeunes arabes et africains viennent faire pendant au indiens placé de l'autre côté.
Près du bord inférieur du tableau, mais légèrement décentré, Gérôme a représenté la naissance de Jésus. Le nouveau-né, baigné de lumière, Marie et Joseph agenouillé autour de lui en posture de prière, sont séparés de la foule par les ailes protectrices d'un ange. Par rapport à l'étude d'assez petite taille que Gérôme avait réalisé, on note quelque différences dans le traitement de la sainte famille. L'échelle est accru, Marie et Joseph sont redressés et gagne en hauteur. L'ange était à l'origine représenté les mains levées, il a dans le tableau final les ailes déployées autour de la sainte famille, dans une attitude protectrice qui les isole et les différencie clairement de la foule. Le rayonnement jaune/orange assez intense autour du Christ, qui crée un second centre visuel, n'était pas prévue à l'origine, il s'agit là encore d'un ajout tardif.
Gérôme supprime les victoires ailées, initialement prévue en train de couronné Auguste. Il s'agit ici d'insister sur la prééminence d'Auguste, dont la figure domine toute la scène, mais également de ne pas créer de confusions entre les victoires, génies païens, et l'ange chrétien. Il procède à d'innombrables changements dans la procession fantasmagorique du registre inférieur, des changements de types, de poses, d'accessoires... Les rangs du bas gagnent en importance, l'opposition entre la composition pyramidale du registre supérieur et la partie inférieure dont les figures forment une sorte de croissant, dont les extrémités (arabes sur dromadaires à gauche et indiens sur éléphant à droite) remontent presque à la hauteur d'Auguste, donnant une profondeur supplémentaire à la composition.
Gérôme représente au sein du même tableau les deux êtres supérieurs qui marque le début d'un nouvel âge d'or: Auguste, bien sûr, qui instaure sous son règne la Paix Romaine, universelle, en établissant une cohabitation de tous les peuples autour de sa figure impérial, et le Christ, dont la venue est "prophétisée" par Virgule dans le quatrième poème des bucoliques, qui célèbre la naissance d'un enfant qui marquera le début d'un nouvel âge d'or, empli de paix et de prospérité.
Gérôme construit, au travers d'une peinture d'histoire, un discours de propagande du second empire. Napoléon III peut aisément se substituer à Auguste, et la foule rassemblée autour de l'empereur romain divinisé évoque directement l'exposition universelle organisée par le nouvel empereur des français, presque 2000 ans plus tard.
II-La réception de l'oeuvre
Le siècle d’Auguste et la naissance du Christ reçoit un accueil critique mitigé. Si elle n’est pas unanimement hostile à la grande composition de Gérôme, reste assez hermétique et froide à l’égard de ses ambitions. Quelques critiques font l’éloge du tableau, en particulier Théophile Gautier qui ne contient pas son admiration, considérant que Gérôme a réalisé un vrai tableau d’histoire, au sens élevé du terme, comme on l’entendait au XVIIème siècle dans la hiérarchie des genres proposée par André Félibien, pour qui la peinture d’allégorie et la peinture d’histoire sont les genres les plus nobles, qui contiennent tous les autres genres qui leur sont subordonnés. Mais Théophile Gautier était critique officiel (le seul) de l’état, et travaillait pour « le moniteur universel », journal de l’empire. Il devait donc diffuser le point de vue officiel sur l’exposition. Et même s’il exprime sans doute son propre goût, il reste tout de même subordonné au commanditaire. Sa critique est par conséquent biaisée.
Les critiques à l’égard du tableau de Gérôme se fondent aussi bien sur la forme que sur le fond. Sur le fond, il leur apparait que, malgré les efforts déployés pour structurer la composition en s’inspirant de ses maîtres (Ingres, Delaroche, Etc.), il n’en résulte de fait qu’une grande confusion. La volonté de synthèse d’un siècle et de contraste entre le monde païen des romains et l’avènement dans le même temps du christianisme, que Bossuet établie en catapultant l’annonce de la naissance du Christ en fin de paragraphe, presque par surprise, se perd chez Gérôme dans la surabondance de détails visuels. Le sacrifice de l’unité du tableau au profit de deux registres distincts est assez mal perçu par les critiques. Le manque d’unité stylistique, avec le registre supérieur ingresque, statique et symétrique, et la sainte Famille qui va chercher ses influences du côté des nazaréens allemands, sans doute voulu pour établir un contraste rhétorique évident, est décrié par la plupart des critiques, qui réclame une plus grande homogénéité. L’un d’eux, à ce sujet, considérera que la toile présente un « tableau dans un autre tableau ».
Mais au-delà de ces considérations sur la forme, la plastique de l’oeuvre, Gérôme se heurte à des critiques plus profondes. La toile est exposée dans un contexte de réaction contre l’art philosophique. Ceux qui avaient apprécié l’enjouement presque naïf de ses toiles néo-grecques (dont « le
combats de coqs »(1847) est le plus bel exemple) ne sont guère réceptifs à ses nouvelles visées intellectualistes. Ils tendent même à considérer son ambition comme déplacé, et ne donnant lieu qu’à une juxtaposition anachronique et confuse, un mélange maladroit de personnages historiques et d’allégories/personnifications. L’un d’eux écrira : « cette grande toile est-elle une page religieuse, historique, philosophique? Ni l’un, ni l’autre! »
Le tableau de Gérôme marque également les limites de la transcription picturale du littéraire. La peinture est bridée, ses limites visuelles et spatiales inaptes à restituer la profondeur et l’universalité d’un discours qu’elle entend égaler. Un critique écrira : »Ses forces [n’étaient pas] à la hauteur de son ambition ».
Les critiques ne sont pas tendre avec Gérôme, mais elles marquent, au-delà des opinions subjectives de chacun, un changement du gout et un besoin de renouvellement d’un genre à bout de souffle.
Dans ses notes autobiographiques, Gérôme évoque ce tableau avec une certaine frustration. Je cite :
« Cette toile qui m’avait couté deux années de travail et des efforts énormes (elle mesure 10 mètres de long sur sept de haut) n’obtint qu’un succès d’estime. C’était peut-être injuste. Pourtant, je dirais que ce tableau à un default capital : Il manque d’invention et d’originalité. Il rappelle, par son agencement, et malheureusement par ce seul côté, l’Apothéose d’Homère de M. Ingres, dont il est, pour ainsi dire, la paraphrase. Cette faute grave une fois constatée, disons qu’il y a dans cette composition des figures bien trouvées, des motifs de groupes heureusement combinés (tel que Brutus et Cassius, Cléopâtre et Antoine), des arrangements de costumes, des draperies d’un bon style, enfin, une somme de volonté parfois couronné de succès, dont le public aurait peut-être dû me tenir compte : ce qui n’a pas été fait. […] En même temps parut un petit tableau représentant « la musique d’un régiment russe ». J’avais, à ce qu’il parait, trouvé la note sensible, car il fut beaucoup plus remarqué que mon grand ouvrage sur lequel je comptais d’avantage. »
III- Un Echec ?
L’échec critique du « siècle d’Auguste, naissance du Christ n’a pas, si on se fie à ses notes, était entièrement compris par Gérôme. Mais, de notre point de vue, ce ne sont pas les qualités formelles (discutables) de l’oeuvre qui aurait causé sa disgrâce, mais une évolution des attentes critiques et publiques envers la peinture grande peinture d’histoire. Si, dans la première partie du XIXe, les commandes abondantes de
peintures historiques, par l’état en particulier, ont contribué à prolonger la suprématie de ce type de peinture, la seconde partie voit un net glissement de la peinture d’histoire vers la peinture de genre. Elle cherche à se rapprocher d’un public dont elle s’était depuis longtemps éloignée. Gérôme arrive en quelque sorte « en retard ». Eduqué dans la tradition de la grande peinture d’histoire, auprès de grand maîtres du genre, Ingres, Delaroche, l’oeuvre est produite dans un contexte qui ne lui est déjà plus favorable. Discrédité pour son caractère pompeux et idéalisant, la grande peinture d’histoire se devait d’évoluer, d’assouplir les frontières la séparant des autres genres.
A partir de là, Gérôme se tourne vers une peinture au sujets plus anecdotique, tout en conservant un gout certain pour la reconstitution archéologique et minutieuse du passé. Mais il délaisse l’emphase, la monumentalité, pour approcher l’histoire de façon plus intimiste, à échelle humaine. Sa « mort de César », en 1859, ne représente plus la fin de la république romaine, mais la mort d’un homme, avec un certain pathos. Gérôme explore ainsi de nouvelles pistes, de façon plus assumés, et raffermis par son échec. Il suit ainsi les traces de Paul Delaroche, qui le premier avait tenté de rendre le fait historique plus accessible, au travers d’une reconstitution archéologique réaliste qui n’oublie pas pour autant l’humain. Gérôme suit la même démarche que les grands historiens de la génération romantique (tel qu’Augustin Thierry et Jules Michelet), en proposant une étude critique et objective de l’histoire, en la hissant au rang de science à part entière, mais en adoptant une narration vivante, voir romancée. Gérôme, en effet, parait plus être un raconteur d’Histoire qu’un peintre.
La vision de l’histoire continue à se modifier et à évoluer avec l’apparition de l’école positiviste, dans le dernier tiers du XIXe. Elle propose une approche de l’histoire objective, centrée sur l’évènementiel, l’anecdote, basée sur des documents d’archives. Ces nouvelles manières d’appréhender l’histoire donnent un nouveau souffle au genre, qui reste évidemment décrié par certains critiques, comme Baudelaire, qui écrira :
"Ici l'érudition a pour but de déguiser l'absence d'imagination. La plupart du temps, il ne s'agit que de transposer la vie commune et vulgaire dans le cadre grec ou romain ».
De fait, nous serions tentés d’envisager Gérôme, non plus comme un peintre, mais comme un talentueux créateur d’images.
Le tableau « le siècle d’Auguste la naissance du Christ » est unique dans l’oeuvre de Gérôme. Elle marque la concrétisation manquée d’une ambition de jeunesse, qui n’était plus au gout du moment. L’évolution du
traitement de l’histoire par Gérôme marque les derniers soubresauts du genre, qui tombera complètement en désuétude au siècle suivant. Malgré lui, Gérôme incarne la transition, entre le déclin de la Grande peinture d’Histoire, grandiose, et sa réinvention, l’histoire vue au travers du prisme du quotidien et de l’intime.

Bibliographie :
- Gerald M. Ackerman, Jean-Léon Gérôme. Monographie et catalogue raisonné, Courbevoie, ACR, 2000.
-Gerald M. Ackerman, Jean-Léon Gérôme, sa vie, son oeuvre, Courbevoie, ACR édition, 1997.
-Laurence des Cars, Gérôme. De la peinture à l'image, Paris, Gallimard, 2010.
-Hélène Lafont-Couturier, Gérôme, Paris, Herscher, 1998.
-Laurence des Cars, Dominique de Font-Réaulx et Edouard Papet (éd), Jean-Léon Gérôme (1824-1904). L'histoire en spectacle, Musée d'Orsay, Paris, Skira-Flammarion, 2010.

dimanche 19 février 2012

Rirkrit Tiravanija

Rirkrit Tiravanija


Introduction :

Rirkrit Tiravanija est un artiste contemporain thaïlandais née à Buenos Aires en 1961. Il vit et travaille à Berlin, New York, ainsi qu’en Thaïlande. Il expose pour la première fois en 1989, dans une expo de groupe, et fait sa première exposition personnelle en 1990, dans la galerie Paula Allen, à New York. En 2004, il est le lauréat du prix « Hugo Boss », décerné par le Musée Guggenheim de new York. C’est un prix plutôt récent (1996), mais réputé.



1-Tiravanija

1.1-Presentation de l’artiste

Tiravanija est une figure majeure de l’art contemporain international des années 90. Il est, avec Felix Gonzalez-Torres, une des figures de proue de l’esthétique relationnelle théorisée par Nicolas Bourriaud. Tiravanija n’est ni peintre, ni sculpteur. Pour autant, on ne peut considérer sa pratique artistique comme relevant de l’art conceptuel, ou l’œuvre n’est plus défini que par l’idée, le processus mental, au détriment de l’objet même. La démarche artistique de Tiravanija est ailleurs. Celui-ci tend à créer des espaces de convivialités, en explorant une nouvelle forme de paradigme esthétique basé sur l’interactivité. Le spectateur est invité à participer activement à l’œuvre, et c’est leur participation qui crée l’œuvre. L’art de Tiravanija est un art de la rencontre, de la proximité. Le visiteur devient voisin.  L’artiste cherche à former, au sein des galeries, des micro-communautés, des espaces de convivialité, comme en réaction à la croissance exponentielle du monde. Ces espaces de convivialité sont multiples : Au Kunsthalle, à Saint Gallen en Suisse, en 1996, il recréait un studio d’enregistrement. En 1998, il  reconstruit un supermarché dans le Musée Migros de Zurich.



Tiravanija ne s’inscrit pas dans la continuité de l’art contemporain thaïlandais, bridé par un système éducatif traditionnel et fermé. L’artiste est influencé par le nomadisme, dans son mode de vie comme dans son art. Pour autant, on retrouve dans son œuvre un rappel de ses propres origines, et ce dès sa première expositions, en 1990.

INTERET POUR LE REPAS, grand mere cuisiniere, blabla.



1.2-L’esthetique relationnelle (Nicolas Bourriaud)

L’esthétique relationnelle est une théorie élaborée par Bourriaud pour qualifier les nouvelles pratiques artistiques des années 90. En envisageant l’histoire de l’art du point de vue des relations entre les choses, de l’art comme « lien », Bourriaud la synthétise en 3 étapes :

-Humanité/Divinité

-Humanité/objet

-relation inter/humains

 Cet « art relationnel » propose comme horizon théorique la sphère des interactions humaines, en impliquant le contexte social, et apparait comme un bouleversement des objectifs esthétiques et sociaux de l’art moderne. Les artistes créent des domaines d’échange, qu’il appartient au critique/commentateur de considérer au travers de la cohérence de la forme (qui, dans le cas présent, désigne une unité structurelle dans laquelle se crée un rapport au monde) et de la valeur symbolique de l’image des relations humaines proposée. L’œuvre des artistes de l’art relationnel s’inscrit dans une tradition matérialiste, un matérialisme de la rencontre, et, par conséquent, de l’aléatoire.  Leurs travaux portent sur le rapport que crée l’œuvre parmi le public. Les artistes relevant de l’esthétique relationnelle n’ont en commun ni les problématiques traitées, ni l’univers de formes. On ne trouve, de l’un à l’autre, pas de style ou d’iconographie commune. Mais ils partagent le même horizon pratique et théorique, la sphère des rapports interhumains.

Au travers de la culture nouvelle de l’interactivité se dessine de nouveaux domaines formels :

- meeting

- fêtes

- pause-clopes

L’ensemble des modes de rencontres deviennent des objets esthétiques. Les artistes proposent donc un « moment de socialité », mais également un « objet producteur de socialité ». L’objet, comme le langage, devient vecteur de relations à l’autre.



2-Exemples d’œuvres de l’artiste

1.1-Pad Thaï (1990)

En 1990, à New York, Tiravanija réalise sa première exposition personnelle, « pad Thaï », une exposition à la lisière de la performance, dans laquelle il propose aux visiteurs un repas thaïlandais. Durant son enfance, il semblerait que Tiravanija est passé du temps auprès de sa grand-mère, une cuisinière et présentatrice d’émission culinaire. Par conséquent, on retrouve, tout le long de sa carrière, un intérêt particulier pour la cuisine traditionnelle thaïlandaise, et la cuisine en general, qui devient partie intégrante de son œuvre. Tiravanija invite le visiteur à partager un bol de nouilles, et laisse exposé, une fois le spectateur/invité parti, les reliefs et les restes du repas, comme preuve tangible de l’évènement social produit. Le repas, ou banquet, devient prétexte aux interactions sociales entre inconnus. Ce processus intrinsèque à l’œuvre de Tiravanija revêt d’une dimension sociale, bien sûr, mais également d’une portée politique. En distribuant gratuitement de la nourriture, il réfute l’idée d’accumulation de la richesse et d’ « objets», que l’on retrouve dans le monde de l’art, et par extension dans la société même. Tiravanija crée des espaces d’aucuns qualifierait d’utopiques, d’artificiels, qui remettent en cause la notion d’accumulation et de possession au profit de la convivialité, rendu tangible par l’objet. Il conçoit des interstices qui se définissent par rapport à l’aliénation du monde extérieur. Tiravanija encourage le spectateur à approcher l’art, le toucher, et devenir partie intégrante de celui-ci. L’exposition n’est plus l’occasion de voir de l’art, mais devient espace de rencontres, de rassemblements amicaux, un microcosme social isolé de la vie contemporaine.



1.2-Une exposition en France : Untitled 1996 (one revolution per minute), au Consortium à Dijon

Dans son exposition au Consortium de Dijon, en 1996, Tiravanija expose de nouvelles facettes de son œuvre. Intitulée « Untitled, (1996) (one revolution per minute), elle se traduit par une profusion d’œuvres, agencées avec un sens remarquable de la construction de l’espace.   Elle s’exprime au travers de 3 axes, 3 types d’intervention qui structurent l’intention générale de l’artiste sans la contraindre.

Le premier consiste en l’utilisation de la collection du Consortium (un grand centre d’art contemporain), le second dans la présentation d’œuvres anciennes, toute basée sur le système d’échange avec le spectateur, et la troisième reposant sur la musique jouée en live durant l’exposition. La réunion de ces trois types d’intervention conduit au projet global de Tiravanija.

Pour Tiravanija, utiliser la collection du Consortium tend à recharger les œuvres d’art laissé par les artistes. Les œuvres ainsi offertes servent de portrait, de mémoire du lieu. La manière dont Tiravanija organise les œuvres, en allant parfois à contrario de l’ »effet » voulu initialement par l’artiste, induit un doute quant à la légitimité du remploi proposé.

Le remploi par Tiravanija d’œuvres anciennes au lieu d’en créer une nouvelle fait encore vaciller la frontière entre œuvre et exposition, dans la mesure où l’exposition est titrée comme une œuvre. Comme souvent, les quatre œuvres présentes permettent de préparer thé, café, soupes, et invitent le visiteur à les partager. Les quatre œuvres sont réunies dans la même salle, imbriquées les unes aux autres, pour former un dispositif basé sur la fonction de partage et d’échange.

Dans cette exposition, la musique tient egalement une grande part. dans une des salles, Tiravanija fait se confronter, face à face, une des œuvres « empruntées » à la collection du Consortium, le « Project of Museum for  Gordon Matta-Clark » de Dan Graham à une 6eme version du studio d’enregistrement, déjà vu au Kunsthalle de Saint Gallen, mis à la disposition des visiteurs musiciens.

Ainsi, Tiravanija crée un espace hétéroclite propice à la « socialité », en assemblant, dans un centre d’art, des situations inhabituelles (des individus jouant de la musique, des œuvres d’art, des installations permettant de servir boissons et nourriture.

Dans son « Untitled 1996 », Tiravanija développe, au travers de son projet relationnel, un vocabulaire qui intègre les acquis de l’art conceptuel, tout en resituant  l’œuvre d’art dans un contexte désacralisé. Il remet en question, avec une occupation de l’espace particulièrement pensée et un aménagement de situations contradictoires, les modalités des espaces dévolus à l’art.



1.3- Untitled (Asile flottant) (2010) : Un message politique plus présent

Dans une de ses plus récentes œuvres, Tiravanija s’intéresse à un nouveau type de plateforme de communication et d’interaction. L’œuvre en question, titrée « Untitled (asile flottant) », fut exposée dans la galerie Chantal Crousel, à Paris, en 2010. Elle consiste en l’introduction au sein de la galerie d’une partie de la reproduction de la péniche de le Corbusier. La péniche du Corbusier était conçu pour l’armée du salut afin d’offrir un toit aux sans-abris de paris. Celle de Tiravanija, fabriquée en Thaïlande, présente des tee-shirts militants créés par l’artiste, ainsi que d’autres collectés de par le monde.  Le tee-shirt devient support de communication, et est revendiqué comme espace politique. Tiravanija questionne sur comment l’information se transmet et s’assimile, en remettant en question notre participation active à ce processus. Cette œuvre apparait comme une des plus explicitement politique de l’artiste, et manifeste son penchant pour



L’œuvre de Tiravanija brouille les frontières entre art et quotidien, spectateurs et participant. L’art devient état de rencontre. 

Le sarcophage des Amazones

Il y a , dans le sud de l’Italie, une tradition de l'inhumation (nord = crémation), d'où la concentration de sarcophage dans le sud, 50 sarcophage retrouvé a Tarquinia. Dans cette exposé, il sera question de l’un d'eux, le sarcophage des amazones Nous allons voir comment un thème grec adapté dans la peinture étrusque, est détourné pour s’adapter à une iconographie funéraire destiné à la tombe d’une femme. J’en ferais dans un premier temps la description, suivi de l’analyse stylistique de l’œuvre, pour conclure avec l’analyse iconographique et iconologique.





Le sarcophage des Amazones, tel qu'il est conservé
au Musée archéologique national de Florence.

I-Description

Localisation

Le sarcophage des amazones a été retrouvé à Tarquinia en 1869, avec, semblerait il, un autre similaire, mais sans scène figuré, aujourd'hui disparu. Il est actuellement conservé au musée archéologique de Florence.

Le sarcophage des amazones est constitué d’une base simple rectangulaire, creusée dans un seul bloc, et fermé par un couvercle simulant le toit d’un temple, avec ses pignons et les colonnes peintes à chaque angle du coffre. 

Le coffre est décoré par des peintures exécutées « a tempera », alors que le couvercle ne l’est pas.

Le fronton

Les pignons sont de chaque côté ornés d’un fronton. A chacune de ses extrémités, on peut voir une tête de femme regardant vers l'extérieur, et un motif de palmettes horizontales se dirigeant vers la scène centrale. Elle représente un homme jeune, imberbe, accroupi sur sa jambe droite fléchie tandis que la gauche est tendue. Il est nu. Autour de lui, deux animaux, des chiens, lui mordent les jambes. La même scène se répète de l’autre côté du sarcophage.

Les scènes peintes sur les bords du sarcophage sont toute encadrés de bandes de couronnements et de socles figurés, ainsi que par les colonnes qui closent les différents tableaux. Les scènes sont mises en évidence par des motifs architecturaux ou décoratifs. Tous les côtés du sarcophage représentent des scènes de combat, avec une grande variété. Rien n’indique que la scène prendrait place dans un paysage. Sur les parois longues, les personnages sont sur un fond rose/mauve clair, tandis que sur les côtés courts, c’est sur un fond sombre, noir/bleu.

Paroi longue 1



Détail paroi 1
Sur la paroi « principale », onze personnages s’affrontent. De gauche à droite, on distingue : 

Ce qui semble être un cheval, blanc, mal conservé. Il est monté par une femme portant une lance.

Un homme, très mal conservé. Il porte un bouclier et des cnémides jaunes (en bronze). Il semble être vêtu d’une tunique bleue, et se dirige vers la droite.

A ses côtés, un autre soldat, glabre, mal conservé également, porte une armure jaune, un bouclier, et un casque différent des autres. Il est tourné vers la droite. Il tient par les cheveux une femme entièrement nue, qui tient dans sur son bras un bouclier en forme de croissant de lune.

Le 5ème personnage représenté est debout, il tient dans sa main droite une lance qu’il brandit et un bouclier bleu est accroché à son bras gauche. Il est barbu, et porte un casque à cimier. Il est vêtu d’un plastron clair et d’une tunique rouge à motifs (des fleurs). Il dirige sa lance vers une cavalière en arme, qui lève son épée pour frapper. Elle est brune, sa peau est très blanche (au contraire des hommes qui ont la peau brune). Elle est vêtue d’une tunique rose, serrée à la taille par une ceinture. Elle porte également des braies rouges sombres ornées de pois. Elle monte un cheval blanc au harnachement rouge et or.

A sa droite, la tête  tourné vers elle mais se dirigeant vers la droite, un soldat (casque à cimier, cnémides… ils portent tous la même chose), brandit son épée au-dessus de sa tête, tandis qu’il tient un bouclier à fond rouge sombre du bras droit. Il ne porte qu’un chiton bleu, sans armure.

A son coté, un autre soldat, vêtu lui d’une armure décorée par des frises de motifs, méandres, points, palmettes. Il porte un couteau, et un bouclier. Du bras qui porte le bouclier, il tient les cheveux d’une femme, dont il ne reste plus grand-chose, et qu’il s’apprête à égorger/achever. Si l’on se fie au reproduction, la femme est sur le point de dégainer un poignard.

A l’extrémité droite de la paroi, un second affrontement entre un guerrier et une cavalière. Le guerrier est barbu, porte une tunique blanche, un plastron, ainsi qu’un casque corinthien, différent des autres. Son équipement spartiate indique son statut de chef. Il se bat avec une longue lance et son bouclier tandis que la cavalière combat  avec deux lances.

Paroi longue 2



Détail paroi 2
Sur l’autre paroi longue, qui est plutôt mal conservé, on retrouve le même type de protagonistes dans une composition différente. Il y a 8 personnages, 4 femmes et 4 hommes. Les femmes sont portées par des quadriges de part et d’autre de la scène. Sur chaque quadrige, une femme tient fermement les rênes tandis que l’autre brandie une lance. Elles portent toute chiton et bonnet phrygien. Dans le quadrige de gauche, les chevaux ont tous les pattes avant levé, ils ruent. Ils sont anatomiquement détaillés, avec une récurrence de la représentation de leurs testicules. Leur harnachement est rouge et or.

Le second quadrige est moins bien conservé, cependant on peut tout de même voir qu’il reprend la même typologie, 2 femmes, l’une conductrice et l’autre attaquante (lance et bouclier), les chevaux ruent (sauf le deuxième qui a 3 pattes posées au sol). Mais la ou les chevaux de gauche se stoppaient brutalement, ceux-ci semblent plutôt démarrer leur course.

Au centre de la composition, 4 hommes font face à l’assaut. Le premier à gauche est à terre, une jambe replié sous le corps. Il n’a pas de trait particulier par rapport aux soldats déjà évoqué, il porte un bouclier et brandit une épée.

A ses côtés, un homme debout s’apprête à soutenir l’assaut. Il est représenté de dos, et rappelle le 2ème soldat de la 1ère paroi. Il est armé d’une lance et d’un bouclier.

Debout et dirigé dans l’autre sens, dans la même posture, un soldat barbu défend l’autre côté, sa lance est brandie verticalement.

Aux pieds des chevaux à droite, un homme est couché. Il protège son corps avec son bouclier, et tient une épée. Sa cuirasse est simple, sans ornements, et son visage glabre.

Cette paroi s’articule de manière symétrique, presque en miroir.

Coté 1

Sur le côté, sur fond sombre, un groupe de 3 individus, 2 femmes et un homme, s’affrontent. L’homme, à droite, porte un plastron blanc sur un chiton blanc, il tient un bouclier rouge, son bras droit est levé.  Il s’apprête à achever la femme au sol qu’il tient par les cheveux avec son bras gauche. La femme semble nue (A revoir avec meilleur image).

Du côté droit, l’autre femme se dirige vers le groupe en courant, avec un bouclier rouge et rouge sombre, elle brandit une lance dorée. Elle porte une tunique courte superposée à un long chiton.

Coté 2

De l’autre côté, la scène représentée reprend la même typologie, soit un groupe de trois personnes dans une composition pyramidale inversée (deux personnages debout entourant un personnage au sol). A gauche, une femme debout, bras droit levé, avec une épée, vêtue d’une tunique courte, d’un long chiton et d’un bonnet phrygien rouge. Elle porte également un bouclier rouge.

Au sol, dans un rappel formel du personnage du fronton, l’homme est accroupi, la jambe droite fléchie et la jambe gauche tendue. Il porte un casque en bronze au cimier blanc, son armure est de couleur claire, son chiton rouge. Il semble se protéger avec son bouclier bleu.  Comme les autres, il porte des cnémides en bronze. Il est barbu, et à les yeux levés vers le personnage féminin à droite. Sa cuisse gauche est percée d’une flèche dorée.

La guerrière à droite, donc, est debout. Elle est vêtu comme celle de gauche, mais ses vêtements sont rouges et son bonnet blanc. Elle tient une hache dans sa main droite, et un arc dans la gauche.

La scène est également sur fond sombre.

Je ne l’ai pas détaillé à chaque fois, mais les cuirasses des soldats sont ornées de motifs géométriques d’une grande variété, tandis que les femmes, aux vêtements plus simples, portent des bijoux, collier et boucles d’oreilles principalement.


II-Analyse Stylistique et iconographique

Les sarcophages étrusques, dont l’usage se fait plus fréquent entre le Vème et le IVème siècle av. JC, étaient très rarement peints, ils étaient plutôt ornés de bas-relief. Le coffre du sarcophage des amazones, en pierre calcaire, de l’albâtre est probablement plus ancien que son couvercle, en forme de toit et grossièrement sculpté. Sur chacun de ces deux éléments constitutifs du sarcophage est gravée une inscription, peut être le nom de la défunte (Ramtha Huzcnai). Elle a été rajoutée sur le coffre à l’aide d’une pointe de fer, ce qui a abimé les peintures.

Technique : peinture a tempera sur albâtre, palette de couleurs assez simple (blanc rouge bleu et jaune principalement) mais extrêmement nuancé. Ombre et rehaut lumineux. On retrouve dans les peintures assez bien conservé du sarcophage des amazones  les différentes phases du processus pictural décrit par Pollux dans son Onomastikon :

1) dessin préparatoire en noir, afin de garantir une disposition précise des figures.

2) Dessin des contours (hypotypose)

3) exécution au pinceau (typographe)

4) Chrosai, c’est-à-dire application uniforme des couleurs de base sur le dessin

5) Et pour finir, on procédait à un modelage plastique des figures par apochrosis, cad dégradation des couleurs.

6) Le dernier geste consistait à appliquer des rehauts de lumière, que Pline nomme « splendores».

Les peintures des sarcophages des amazones constituent un témoignage particulièrement important sur l’histoire de la peinture funéraire étrusque à l’époque classique. Bien évidemment, les modalités formelles de représentations sont différentes  en fonction du support, les caractéristiques de la peinture sur sarcophage diffèrent de la peinture murale, dans les proportions et dans le type de peinture. Mais au-delà de ces considérations, la technique et le traitement stylistique du sujet  dans le sarcophage des amazones en font une production à part dans la peinture étrusque du 3ème quart du IVème siècle.



Dans le sarcophage des amazones, une attention particulière est portée à différents effets, traités avec un soin particulier. On voit l’attention mise à la composition de chacun des tableaux, les mouvements des personnages sont librement exprimés dans un espace abstrait, un simple fond coloré sans inclusion d’éléments de paysages ou architecturaux. L’utilisation de la perspective est maitrisée. Les figures sont traitées de façon plutôt réaliste. La couleur en particulier est particulièrement travaillée, avec un modelage plastique très subtil. Les marques du pinceau apparaissent et donnent du volume au corps et aux vêtements, surtout pour les figures masculines plus sombres. L’illusion du relief plastique est incroyablement maitrisée. L’utilisation du clair-obscur, d’ombre et de rehauts de lumière contribue à restituer l’apparence de la réalité.

La qualité technique des peintures du sarcophage témoigne de son appartenance à l’art classique.  L’harmonie et le rythme dans la composition, précédemment évoqué, et également la création d’une objectivité de la vision en indique très clairement le caractère classique. Les visages sont individualisés, tous différents, l’accent est mis sur l’émotion, l’intériorité des personnages, bref, un certain pathos.



On peut également noter que la bande de couronnement et le socle forment, en rappel des peintures archaïques, un cadre pour les tableaux. (Comme dans la tombe des léopards)

Au vue de ses qualités techniques et de ses spécificités stylistiques, il apparait clairement que les peintures du sarcophage des amazones datent du dernier quart du IVème siècle, soit de la fin de la période grecque classique.

On retrouve la même technique sur le bassin des néréides, provenant de tarente.



III-Analyse Iconographique et Iconologique (et questionnement sur l’origine du peintre)

Si la présence de mythes grecs dans l'iconographie étrusque est décelée dès le 2ème quart du VIIème siècle, soit très tôt, avec le cratère d'Aristonothos. La persistance de héros Homériques dans la peinture du IVème et IIIème siècle n'a rien d'anodin. Dans la tombe François, nous avons vu comment le combat entre Grecs et Troyens s'inscrivait dans une logique de représentation de l'identité ethnique en contrepoint de l’idéologie Troyenne des Romains, un discours propagandiste anti-romain auquel se mêle une tentative par l'aristocratie étrusque de se hisser au niveau des héros grecs.

Selon F.-H. Massa-Pairault, le mythe serait marque de la volonté « d’affirmer la continuité et la permanence de la communauté ». Mais nous allons voir qu’ici, ce n’est pas vraiment le cas.

Le sarcophage/ temple et son fronton.

Le sarcophage prend la forme d’un temple, avec ses colonnes peintes et son fronton. Le fronton représente Actéon, dévoré par ses propres chiens. Fils d’un Dieu mineur, Aristée qui était associé au pastoralisme et à l'agriculture, Actéon était un chasseur qui, ayant, dans une version, surpris Artémis dans son bain, et dans une autre se serait vanté d’une habilité supérieur à la déesse, se serait vu transformé en cerf, devenant la proie de ses chiens. Il est ici représenté sans transformation, et sans quoi que ce soit la suggérant.

Amazones et guerriers grecs

 La représentation de bataille ou d'amazonomachie semble être courante sur les cuves de sarcophages. Cependant, on peut se demander s'il s'agit réellement d'une volonté de placer une symbolique particulière derrière ces combats ou, s'il est plutôt question d'une scène générique, d'un modèle acquis et répété au cours du IVe et du IIIe siècle, car il reste toutefois peu aisé d'interpréter ceux-ci comme l'illustration d'un épisode précis. En Grèce, le combat d’Héraclès contre les amazones (son neuvième travail) est le motif le plus courant. Ce choix de représenter un héros grec victorieux apparait comme assez évident. Dans les sarcophages des Amazones, c’est un autre mythe les impliquant qui est mis en scène. Durant la guerre de Troie, les Amazones sont alliés aux Troyens. On retrouve ainsi l’antagonisme entre grecs et troyens (étrusque et romain) déjà évoqué dans la peinture étrusque.

Les quatre pans du sarcophage représentent des scènes de bataille entre amazones et grecs. Si c'est un thème que l'on retrouve assez souvent dans la peinture étrusque à partir du Vème siècle, le sarcophage des amazones semblent être le seul à représenter uniquement des amazones (si on écarte le fronton sculpté). Il y a une grande variété dans les types de combats représentés : Sur la face principale, les guerriers grecs, à pieds, combattent des amazones à cheval. Les guerriers portent tous les attributs des hoplites grecs, bouclier rond, cnémides, casque à cimier, tandis que les amazones sont plus simplement vêtue de tuniques claires, et parfois de braies.

Sur l’autre long côté, des amazones sur des quadriges attaquent des hoplites grecs. C’est un type de représentation typiquement étrusque, et que l’on ne retrouve pas dans les amazonomachies grecques.



Analyse iconologique

Si les peintures du sarcophage des Amazones sont, d’un point de vue iconographique, relativement claires, leur mise en perspective dans un contexte social et historique est ardue, et amène à se poser de nombreuses questions. Comme nous l’avons établie, le sarcophage, que ce soit au niveau du style que de l’iconographie, est d’influence grec. On peut même supposer que l’artiste (bien qu’il y a fort à supposer qu’il y ai eu plusieurs peintres différents) serait, soit un peintre grec (de Grande Grèce) venu en Etrurie, soit un peintre Etrusque ayant eu un maître grec. Mais, dans ce cas, pourquoi a-t-il pris le parti de représenter les amazones, ennemies des grecs, triomphantes ? Le fait que le sarcophage ai été destiné à une femme amène aussi à s’interroger sur les raisons de représenter uniquement un motif guerrier.

On sait que la femme Étrusque, contrairement à la femme grecque et romaine, bénéficie d’un véritable statut social. La femme étrusque est « émancipée ». Les amazones symboliserait donc, non pas la vertu guerrière, mais la vertu féminine, le pouvoir féminin sur l’Homme. Peut-être peut-on mettre la scène d’amazonomachie en parallèle avec l’évocation du mythe d’Actéon sur le fronton. Il s’agit là encore d’un mythe prônant la supériorité de la Femme sur l’Homme.

Si les amazones représentées sont des guerrières, elles n’en sont pas moins féminines. A l’opposé de la lourdeur des hoplites, elles ne portent que des vêtements légers, et divers bijoux. Une interprétation sociologique de l’iconographie serait de considérer que la représentation générique de ce combat entre grecs et amazones symboliserait une revendication de l’égalité hommes/femmes. Il apparait assez ironique que l’utilisation étrusque d’un mythe grec, société patriarcale, servent ici à l’élaboration d’un discours presque féministe.