dimanche 19 février 2012

Le sarcophage des Amazones

Il y a , dans le sud de l’Italie, une tradition de l'inhumation (nord = crémation), d'où la concentration de sarcophage dans le sud, 50 sarcophage retrouvé a Tarquinia. Dans cette exposé, il sera question de l’un d'eux, le sarcophage des amazones Nous allons voir comment un thème grec adapté dans la peinture étrusque, est détourné pour s’adapter à une iconographie funéraire destiné à la tombe d’une femme. J’en ferais dans un premier temps la description, suivi de l’analyse stylistique de l’œuvre, pour conclure avec l’analyse iconographique et iconologique.





Le sarcophage des Amazones, tel qu'il est conservé
au Musée archéologique national de Florence.

I-Description

Localisation

Le sarcophage des amazones a été retrouvé à Tarquinia en 1869, avec, semblerait il, un autre similaire, mais sans scène figuré, aujourd'hui disparu. Il est actuellement conservé au musée archéologique de Florence.

Le sarcophage des amazones est constitué d’une base simple rectangulaire, creusée dans un seul bloc, et fermé par un couvercle simulant le toit d’un temple, avec ses pignons et les colonnes peintes à chaque angle du coffre. 

Le coffre est décoré par des peintures exécutées « a tempera », alors que le couvercle ne l’est pas.

Le fronton

Les pignons sont de chaque côté ornés d’un fronton. A chacune de ses extrémités, on peut voir une tête de femme regardant vers l'extérieur, et un motif de palmettes horizontales se dirigeant vers la scène centrale. Elle représente un homme jeune, imberbe, accroupi sur sa jambe droite fléchie tandis que la gauche est tendue. Il est nu. Autour de lui, deux animaux, des chiens, lui mordent les jambes. La même scène se répète de l’autre côté du sarcophage.

Les scènes peintes sur les bords du sarcophage sont toute encadrés de bandes de couronnements et de socles figurés, ainsi que par les colonnes qui closent les différents tableaux. Les scènes sont mises en évidence par des motifs architecturaux ou décoratifs. Tous les côtés du sarcophage représentent des scènes de combat, avec une grande variété. Rien n’indique que la scène prendrait place dans un paysage. Sur les parois longues, les personnages sont sur un fond rose/mauve clair, tandis que sur les côtés courts, c’est sur un fond sombre, noir/bleu.

Paroi longue 1



Détail paroi 1
Sur la paroi « principale », onze personnages s’affrontent. De gauche à droite, on distingue : 

Ce qui semble être un cheval, blanc, mal conservé. Il est monté par une femme portant une lance.

Un homme, très mal conservé. Il porte un bouclier et des cnémides jaunes (en bronze). Il semble être vêtu d’une tunique bleue, et se dirige vers la droite.

A ses côtés, un autre soldat, glabre, mal conservé également, porte une armure jaune, un bouclier, et un casque différent des autres. Il est tourné vers la droite. Il tient par les cheveux une femme entièrement nue, qui tient dans sur son bras un bouclier en forme de croissant de lune.

Le 5ème personnage représenté est debout, il tient dans sa main droite une lance qu’il brandit et un bouclier bleu est accroché à son bras gauche. Il est barbu, et porte un casque à cimier. Il est vêtu d’un plastron clair et d’une tunique rouge à motifs (des fleurs). Il dirige sa lance vers une cavalière en arme, qui lève son épée pour frapper. Elle est brune, sa peau est très blanche (au contraire des hommes qui ont la peau brune). Elle est vêtue d’une tunique rose, serrée à la taille par une ceinture. Elle porte également des braies rouges sombres ornées de pois. Elle monte un cheval blanc au harnachement rouge et or.

A sa droite, la tête  tourné vers elle mais se dirigeant vers la droite, un soldat (casque à cimier, cnémides… ils portent tous la même chose), brandit son épée au-dessus de sa tête, tandis qu’il tient un bouclier à fond rouge sombre du bras droit. Il ne porte qu’un chiton bleu, sans armure.

A son coté, un autre soldat, vêtu lui d’une armure décorée par des frises de motifs, méandres, points, palmettes. Il porte un couteau, et un bouclier. Du bras qui porte le bouclier, il tient les cheveux d’une femme, dont il ne reste plus grand-chose, et qu’il s’apprête à égorger/achever. Si l’on se fie au reproduction, la femme est sur le point de dégainer un poignard.

A l’extrémité droite de la paroi, un second affrontement entre un guerrier et une cavalière. Le guerrier est barbu, porte une tunique blanche, un plastron, ainsi qu’un casque corinthien, différent des autres. Son équipement spartiate indique son statut de chef. Il se bat avec une longue lance et son bouclier tandis que la cavalière combat  avec deux lances.

Paroi longue 2



Détail paroi 2
Sur l’autre paroi longue, qui est plutôt mal conservé, on retrouve le même type de protagonistes dans une composition différente. Il y a 8 personnages, 4 femmes et 4 hommes. Les femmes sont portées par des quadriges de part et d’autre de la scène. Sur chaque quadrige, une femme tient fermement les rênes tandis que l’autre brandie une lance. Elles portent toute chiton et bonnet phrygien. Dans le quadrige de gauche, les chevaux ont tous les pattes avant levé, ils ruent. Ils sont anatomiquement détaillés, avec une récurrence de la représentation de leurs testicules. Leur harnachement est rouge et or.

Le second quadrige est moins bien conservé, cependant on peut tout de même voir qu’il reprend la même typologie, 2 femmes, l’une conductrice et l’autre attaquante (lance et bouclier), les chevaux ruent (sauf le deuxième qui a 3 pattes posées au sol). Mais la ou les chevaux de gauche se stoppaient brutalement, ceux-ci semblent plutôt démarrer leur course.

Au centre de la composition, 4 hommes font face à l’assaut. Le premier à gauche est à terre, une jambe replié sous le corps. Il n’a pas de trait particulier par rapport aux soldats déjà évoqué, il porte un bouclier et brandit une épée.

A ses côtés, un homme debout s’apprête à soutenir l’assaut. Il est représenté de dos, et rappelle le 2ème soldat de la 1ère paroi. Il est armé d’une lance et d’un bouclier.

Debout et dirigé dans l’autre sens, dans la même posture, un soldat barbu défend l’autre côté, sa lance est brandie verticalement.

Aux pieds des chevaux à droite, un homme est couché. Il protège son corps avec son bouclier, et tient une épée. Sa cuirasse est simple, sans ornements, et son visage glabre.

Cette paroi s’articule de manière symétrique, presque en miroir.

Coté 1

Sur le côté, sur fond sombre, un groupe de 3 individus, 2 femmes et un homme, s’affrontent. L’homme, à droite, porte un plastron blanc sur un chiton blanc, il tient un bouclier rouge, son bras droit est levé.  Il s’apprête à achever la femme au sol qu’il tient par les cheveux avec son bras gauche. La femme semble nue (A revoir avec meilleur image).

Du côté droit, l’autre femme se dirige vers le groupe en courant, avec un bouclier rouge et rouge sombre, elle brandit une lance dorée. Elle porte une tunique courte superposée à un long chiton.

Coté 2

De l’autre côté, la scène représentée reprend la même typologie, soit un groupe de trois personnes dans une composition pyramidale inversée (deux personnages debout entourant un personnage au sol). A gauche, une femme debout, bras droit levé, avec une épée, vêtue d’une tunique courte, d’un long chiton et d’un bonnet phrygien rouge. Elle porte également un bouclier rouge.

Au sol, dans un rappel formel du personnage du fronton, l’homme est accroupi, la jambe droite fléchie et la jambe gauche tendue. Il porte un casque en bronze au cimier blanc, son armure est de couleur claire, son chiton rouge. Il semble se protéger avec son bouclier bleu.  Comme les autres, il porte des cnémides en bronze. Il est barbu, et à les yeux levés vers le personnage féminin à droite. Sa cuisse gauche est percée d’une flèche dorée.

La guerrière à droite, donc, est debout. Elle est vêtu comme celle de gauche, mais ses vêtements sont rouges et son bonnet blanc. Elle tient une hache dans sa main droite, et un arc dans la gauche.

La scène est également sur fond sombre.

Je ne l’ai pas détaillé à chaque fois, mais les cuirasses des soldats sont ornées de motifs géométriques d’une grande variété, tandis que les femmes, aux vêtements plus simples, portent des bijoux, collier et boucles d’oreilles principalement.


II-Analyse Stylistique et iconographique

Les sarcophages étrusques, dont l’usage se fait plus fréquent entre le Vème et le IVème siècle av. JC, étaient très rarement peints, ils étaient plutôt ornés de bas-relief. Le coffre du sarcophage des amazones, en pierre calcaire, de l’albâtre est probablement plus ancien que son couvercle, en forme de toit et grossièrement sculpté. Sur chacun de ces deux éléments constitutifs du sarcophage est gravée une inscription, peut être le nom de la défunte (Ramtha Huzcnai). Elle a été rajoutée sur le coffre à l’aide d’une pointe de fer, ce qui a abimé les peintures.

Technique : peinture a tempera sur albâtre, palette de couleurs assez simple (blanc rouge bleu et jaune principalement) mais extrêmement nuancé. Ombre et rehaut lumineux. On retrouve dans les peintures assez bien conservé du sarcophage des amazones  les différentes phases du processus pictural décrit par Pollux dans son Onomastikon :

1) dessin préparatoire en noir, afin de garantir une disposition précise des figures.

2) Dessin des contours (hypotypose)

3) exécution au pinceau (typographe)

4) Chrosai, c’est-à-dire application uniforme des couleurs de base sur le dessin

5) Et pour finir, on procédait à un modelage plastique des figures par apochrosis, cad dégradation des couleurs.

6) Le dernier geste consistait à appliquer des rehauts de lumière, que Pline nomme « splendores».

Les peintures des sarcophages des amazones constituent un témoignage particulièrement important sur l’histoire de la peinture funéraire étrusque à l’époque classique. Bien évidemment, les modalités formelles de représentations sont différentes  en fonction du support, les caractéristiques de la peinture sur sarcophage diffèrent de la peinture murale, dans les proportions et dans le type de peinture. Mais au-delà de ces considérations, la technique et le traitement stylistique du sujet  dans le sarcophage des amazones en font une production à part dans la peinture étrusque du 3ème quart du IVème siècle.



Dans le sarcophage des amazones, une attention particulière est portée à différents effets, traités avec un soin particulier. On voit l’attention mise à la composition de chacun des tableaux, les mouvements des personnages sont librement exprimés dans un espace abstrait, un simple fond coloré sans inclusion d’éléments de paysages ou architecturaux. L’utilisation de la perspective est maitrisée. Les figures sont traitées de façon plutôt réaliste. La couleur en particulier est particulièrement travaillée, avec un modelage plastique très subtil. Les marques du pinceau apparaissent et donnent du volume au corps et aux vêtements, surtout pour les figures masculines plus sombres. L’illusion du relief plastique est incroyablement maitrisée. L’utilisation du clair-obscur, d’ombre et de rehauts de lumière contribue à restituer l’apparence de la réalité.

La qualité technique des peintures du sarcophage témoigne de son appartenance à l’art classique.  L’harmonie et le rythme dans la composition, précédemment évoqué, et également la création d’une objectivité de la vision en indique très clairement le caractère classique. Les visages sont individualisés, tous différents, l’accent est mis sur l’émotion, l’intériorité des personnages, bref, un certain pathos.



On peut également noter que la bande de couronnement et le socle forment, en rappel des peintures archaïques, un cadre pour les tableaux. (Comme dans la tombe des léopards)

Au vue de ses qualités techniques et de ses spécificités stylistiques, il apparait clairement que les peintures du sarcophage des amazones datent du dernier quart du IVème siècle, soit de la fin de la période grecque classique.

On retrouve la même technique sur le bassin des néréides, provenant de tarente.



III-Analyse Iconographique et Iconologique (et questionnement sur l’origine du peintre)

Si la présence de mythes grecs dans l'iconographie étrusque est décelée dès le 2ème quart du VIIème siècle, soit très tôt, avec le cratère d'Aristonothos. La persistance de héros Homériques dans la peinture du IVème et IIIème siècle n'a rien d'anodin. Dans la tombe François, nous avons vu comment le combat entre Grecs et Troyens s'inscrivait dans une logique de représentation de l'identité ethnique en contrepoint de l’idéologie Troyenne des Romains, un discours propagandiste anti-romain auquel se mêle une tentative par l'aristocratie étrusque de se hisser au niveau des héros grecs.

Selon F.-H. Massa-Pairault, le mythe serait marque de la volonté « d’affirmer la continuité et la permanence de la communauté ». Mais nous allons voir qu’ici, ce n’est pas vraiment le cas.

Le sarcophage/ temple et son fronton.

Le sarcophage prend la forme d’un temple, avec ses colonnes peintes et son fronton. Le fronton représente Actéon, dévoré par ses propres chiens. Fils d’un Dieu mineur, Aristée qui était associé au pastoralisme et à l'agriculture, Actéon était un chasseur qui, ayant, dans une version, surpris Artémis dans son bain, et dans une autre se serait vanté d’une habilité supérieur à la déesse, se serait vu transformé en cerf, devenant la proie de ses chiens. Il est ici représenté sans transformation, et sans quoi que ce soit la suggérant.

Amazones et guerriers grecs

 La représentation de bataille ou d'amazonomachie semble être courante sur les cuves de sarcophages. Cependant, on peut se demander s'il s'agit réellement d'une volonté de placer une symbolique particulière derrière ces combats ou, s'il est plutôt question d'une scène générique, d'un modèle acquis et répété au cours du IVe et du IIIe siècle, car il reste toutefois peu aisé d'interpréter ceux-ci comme l'illustration d'un épisode précis. En Grèce, le combat d’Héraclès contre les amazones (son neuvième travail) est le motif le plus courant. Ce choix de représenter un héros grec victorieux apparait comme assez évident. Dans les sarcophages des Amazones, c’est un autre mythe les impliquant qui est mis en scène. Durant la guerre de Troie, les Amazones sont alliés aux Troyens. On retrouve ainsi l’antagonisme entre grecs et troyens (étrusque et romain) déjà évoqué dans la peinture étrusque.

Les quatre pans du sarcophage représentent des scènes de bataille entre amazones et grecs. Si c'est un thème que l'on retrouve assez souvent dans la peinture étrusque à partir du Vème siècle, le sarcophage des amazones semblent être le seul à représenter uniquement des amazones (si on écarte le fronton sculpté). Il y a une grande variété dans les types de combats représentés : Sur la face principale, les guerriers grecs, à pieds, combattent des amazones à cheval. Les guerriers portent tous les attributs des hoplites grecs, bouclier rond, cnémides, casque à cimier, tandis que les amazones sont plus simplement vêtue de tuniques claires, et parfois de braies.

Sur l’autre long côté, des amazones sur des quadriges attaquent des hoplites grecs. C’est un type de représentation typiquement étrusque, et que l’on ne retrouve pas dans les amazonomachies grecques.



Analyse iconologique

Si les peintures du sarcophage des Amazones sont, d’un point de vue iconographique, relativement claires, leur mise en perspective dans un contexte social et historique est ardue, et amène à se poser de nombreuses questions. Comme nous l’avons établie, le sarcophage, que ce soit au niveau du style que de l’iconographie, est d’influence grec. On peut même supposer que l’artiste (bien qu’il y a fort à supposer qu’il y ai eu plusieurs peintres différents) serait, soit un peintre grec (de Grande Grèce) venu en Etrurie, soit un peintre Etrusque ayant eu un maître grec. Mais, dans ce cas, pourquoi a-t-il pris le parti de représenter les amazones, ennemies des grecs, triomphantes ? Le fait que le sarcophage ai été destiné à une femme amène aussi à s’interroger sur les raisons de représenter uniquement un motif guerrier.

On sait que la femme Étrusque, contrairement à la femme grecque et romaine, bénéficie d’un véritable statut social. La femme étrusque est « émancipée ». Les amazones symboliserait donc, non pas la vertu guerrière, mais la vertu féminine, le pouvoir féminin sur l’Homme. Peut-être peut-on mettre la scène d’amazonomachie en parallèle avec l’évocation du mythe d’Actéon sur le fronton. Il s’agit là encore d’un mythe prônant la supériorité de la Femme sur l’Homme.

Si les amazones représentées sont des guerrières, elles n’en sont pas moins féminines. A l’opposé de la lourdeur des hoplites, elles ne portent que des vêtements légers, et divers bijoux. Une interprétation sociologique de l’iconographie serait de considérer que la représentation générique de ce combat entre grecs et amazones symboliserait une revendication de l’égalité hommes/femmes. Il apparait assez ironique que l’utilisation étrusque d’un mythe grec, société patriarcale, servent ici à l’élaboration d’un discours presque féministe.






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