Compte rendu du séminaire diachronique sur
le thème de "La remise en cause des influences dans le vocabulaire de
l'Histoire de l'Art", qui s’est tenu à l’université François Rabelais de
Tours, le 17 janvier 2013
La remise en cause des influences dans le
vocabulaire de l’Histoire de l’Art
Le terme influence est une notion clé dans l’histoire de l’art, dans le
sens où elle a façonné une histoire de l’art « évolutive »,
impliquant que les artistes ou les courants artistiques ne pouvaient se définir
qu’au travers de ce qui les précédaient, selon un modèle de continuités ou de
ruptures. Cette notion tend cependant à être remise en cause. Ce modèle
méthodologique d’appréhension des œuvres présente en effet des lacunes qui
amènent parfois à mésestimer la complexité des transferts entre les différents
artistes, styles ou médias. Il s’agira d’essayer de comprendre les limites de
la notion d’influence, et de voir les
alternatives que l’on peut proposer à cette lecture sclérosante de l'histoire
de l’art.
1. L’apport théorique de Baxandall
L'historiographie de l'histoire de l'art est parsemée d'imprécisions
dont la sur-utilisation contribue à leur donner une fausse légitimité dans le
vocabulaire scientifique. La notion d'influence fait partie de ces faux acquis
en proposant une lecture de l'histoire de l'art dépendante d'un "piège du
langage", une imprécision erronée dévitalisée de son sens. Cette idée
d'influence, donc, devenue lieu commun dans le vocabulaire de l'histoire de
l'art, n'a réellement commencé à être remise en cause que récemment (à partir
des années 70) par l'historien d'art
Michael Baxandall, en particulier dans son ouvrage "Patterns of
Intention: On the Historical Explanation of Pictures" en 1985.
Si l'on s'attache, comme point de départ
à la réflexion, à la définition littérale du vocable "influence", on
peut remarquer que le terme est sous tendu par l'idée d'une action de
l'influent sur l'influencé, d'un ascendant de X sur Y. Cependant, cette
définition, comme le remarque Baxandall, ne peut s'appliquer à l'histoire de l'art
sans nier la part active, c'est une évidence, que prend l'artiste vis à vis de
sa propre création. Le rapport "actif/passif" que suggère le terme
influence ne peut pas s'appliquer à la réflexion sur le processus de création
artistique.
La notion d'influence est problématique
dans le sens ou elle ne permet d'envisager l'art que dans une logique
déterministe. Les rapports qu'entretiennent les artistes avec leurs modèles
sont bien plus complexes et porteurs de sens, et nécessitent l'emploi d'un
vocabulaire adapté et nuancé.
2. De l’influence à la citation
intellectualisée
Le regard porté sur l'art médiéval, qui repose en partie sur une
utilisation stricte de modèles iconographiques, est à ce titre symptomatique
des problèmes posés par la notion d'influence.
Les rapports qui régissent les phénomènes
de transmission et de circulation iconographique sont sans doute tributaires de
l'idée d'influence, mais les envisager sous ce seul prisme en réduit
considérablement la lecture. Comme nous avons pu l'observer dans le cas du Bon
Gouvernement du Palazzo Pubblico à Sienne, le programme iconographique mis en
place par l'artiste n'est pas un simple agglomérat, mais fonctionne justement
par citations réfléchies et intellectualisées. La manière dont Ambrogio
Lorenzetti use de reprises iconographiques porte du sens et conforte son
message, la ou la notion d'influence correspond à une sorte de déni de
l'artiste, en en minorant la part active dans la construction du sens.
3. De l’influence à la référence
Un regard croisé sur la sculpture et la peinture aux XVème et XVIème
siècle permet de noter l'influence de la première sur la seconde. Mais il
s'agit, au XVème, d'une influence générique de la sculpture sur la peinture,
qui cherche à y trouver des modèles de volumes transposables à la peinture,
afin de traiter les drapés et vêtements en particulier. Cette tendance, le
glissement du style sculptural vers la peinture, change à partir du XVIème
siècle. les peintres s'inspirent des sculpteurs, afin d'enrichir leur
vocabulaire stylistique. On passe d'une influence stylistique à la mise en
place de références impliquant un regard nouveau de l'art pictural sur l'art
sculpté. L'influence assimilée devient référence.
4. De l’influence au dépassement
Les rapports qu'entretinrent les architectes prix de Rome à l'idée
d'influence est particulièrement intéressants. Le grand prix d'architecture,
créé en 1720, a vu ses modalités se transformer peu à peu dans le courant du
XVIIIème et du XIXème siècle. Le lauréat du prix était envoyé à l’Académie de France à Rome en y bénéficiant
d'une pension. L’apprentissage du métier d'architecte était alors fondé sur des
règles de copies des modèles de l'antiquité romaine, modèles dictés par
l'académie. mais les jeunes architectes lauréats vont peu à peu s'écarter de ce
modèle imposé, en faisant évoluer leur travaux, jusqu'alors basés sur une
imitation "servile" de l'antique, une approche archéologique qui se
dévitalisé peu à peu de son sens, vers une nouvelle pratique permettant, au
travers des connaissances acquises, de nouveaux partis pris esthétiques. En
intégrant à leur travaux une vision nouvelle de l'antique, ce qui n'était
"que" des relevés archéologiques se transforment en paysages, parfois
même en scène de genre. Comme le formule M. Royo (professeur des Universités, histoire, civilisation, archéologie et art des mondes anciens et médiévaux) en rejetant l'autorité de
l'académie, "l'esprit vint aux architectes"
La notion d'influence est bancale, dans la mesure où elle repose sur une
incohérence sémantique. Sa remise en question ouvre la voie à de nouvelles
façons d'aborder les phénomènes de transmissions dans l'art, débarrassées de la
"mystique" de l'influence, et permet, au sein même de la discipline,
de réfléchir à l'enjeu du langage.
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